RIO + 20 :
Le Tragique Carnaval
Chems Eddine CHITOUR
24 juin 2012
« Quand l’homme
aura fait tomber le dernier arbre, contaminé le dernier ruisseau, pêché le
dernier poisson, il s’apercevra que l’argent n’est pas comestible ! » - Proverbe indien
Pendant près d’une semaine, la planète des crédules a été
tenue en haleine par des médias qui nous ont présenté le Sommet de Rio comme le
sommet de la dernière chance. Mieux, nous avons eu en prime le communiqué final
avant la réunion des grands de ce monde. Cependant, et curieusement, en
l’espace de deux mois, trois rapports venant de la Banque mondiale, de l’OIT et
du Pnue ont minutieusement mis en condition l’opinion internationale sur la
convergence quant à la nécessité d’aller vers l’économie verte. Nous allons les
présenter après un état des lieux, 20 ans après Rio.
Le procès de l’économie brune
En vingt ans, lit-on sur Agoravox : « La
population mondiale a augmenté de 26%, 12% de la biodiversité totale a disparu,
les émissions de CO2 ont augmenté de 36%, 300 millions d’hectares de forêts ont
disparu, il existe 21 mégavilles tentaculaires, la température globale a
augmenté de 0,4°C, la production de plastique a augmenté de 130%, l’acidité des
océans a fortement accéléré menaçant la vie marine qui est la source de toute
vie terrestre. (1)
Le rapport du (Pnue), « Geo-5 » de juin 2012, va
dans le même sens et fait le bilan des 90 objectifs reconnus en matière de
gestion durable de l’environnement et de développement humain. Il établit un
état des lieux alarmant : seuls 4 objectifs ont enregistré « des
progrès significatifs ». 40 objectifs ont enregistré des progrès (le
rythme de la déforestation a régressé, les zones protégées se sont étendues,
etc.). 24 objectifs n’ont pas connu de progrès ou très peu. A titre d’exemple,
les émissions de gaz à effet de serre devraient doubler d’ici 2050 et les
ressources halieutiques continuent de s’amoindrir. 8 objectifs ont enregistré
une dégradation (qualité des eaux souterraines, protection des récifs
coralliens, etc.). Les 14 objectifs restants n’ont pu faire l’objet d’une
évaluation, faute de données disponibles. 1,3 milliard de personnes n’ont pas
l’électricité, 2,6 milliards ne disposent pas d’installations sanitaires et 900
millions n’ont pas accès à de l’eau propre et potable. De ce constat d’échec,
le Pnue conclut que, 20 ans après le Sommet de la Terre de Rio 1992, la planète
doit réorienter d’urgence son développement ». (2)
« Plusieurs crises, lit-on dans le Rapport du Pnue, ont
surgi ou se sont accélérées au cours de la décennie écoulée : climat,
biodiversité, énergie, denrées alimentaires, eau et tout récemment la crise du
système financier et l’économie mondiale tout entière. L’augmentation galopante
des émissions polluantes donne lieu à des craintes croissantes d’emballement du
changement climatique avec des conséquences potentiellement désastreuses pour
l’humanité. Le choc des prix des combustibles de 2008 et la flambée des prix
des denrées alimentaires et des matières premières qui en a découlé constituent
des signes manifestes de faiblesses structurelles et de risques toujours
présents. (...) La sécurité alimentaire est un problème dont la nature est loin
d’être comprise par tous. La pénurie d’eau potable constitue déjà un problème
planétaire et des prévisions suggèrent que l’écart entre la demande et l’offre
renouvelable annuelles d’eau douce va se creuser d’ici 2030. Les perspectives
d’amélioration de l’assainissement demeurent sombres pour plus de 2,6 milliards
de personnes et 884 millions d’êtres humains n’ont toujours pas accès à de
l’eau potable salubre. » (2)
« Collectivement, conclut le rapport, ces crises ont de
graves conséquences sur notre capacité à assurer la prospérité dans le monde et
à atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD).Elles
viennent s’ajouter aux problèmes sociaux persistants liés au chômage, à
l’insécurité socioéconomique et à la pauvreté (....) Bien au contraire, la
plupart des stratégies de développement et de croissance économiques ont
favorisé l’accumulation rapide de capital physique, financier et humain, au
prix d’un épuisement et d’une dégradation excessifs du capital naturel, qui
comprend notre dotation en ressources naturelles et en écosystèmes. À l’heure
actuelle, les conditions penchent lourdement en faveur de l’économie brune dominante
laquelle, entre autres, dépend, à l’excès, de l’énergie issue des combustibles
fossiles. Ainsi, en 2008, les prix et la production de combustibles fossiles
bénéficiaient de subventions d’un montant collectif supérieur à 650 milliards
de dollars, soit un niveau non incitatif à l’adoption d’énergies
renouvelables. » (2)
L’économie verte
Le développement durable demeure un but vital à long terme,
mais pour l’atteindre un verdissement de l’économie est nécessaire. Depuis deux
ans, la notion « d’économie verte » a rompu ses amarres avec
l’univers des spécialistes en économie de l’environnement et rejoint le flux
général du discours politique. (2)
C’est là qu’intervient la nécessité de comptabiliser la
nature dans le PIB. Pour le Pnue : « Les preuves abondent aujourd’hui
que le verdissement des économies ne fait pas obstacle à la création de
richesses et d’emplois et qu’il existe de multiples opportunités
d’investissement, et donc d’augmentation de la richesse et des emplois, dans de
nombreux secteurs verts, il faudrait mettre en place de nouvelles conditions
favorables à la transition vers une économie verte et c’est sur ce point que
les décideurs dans le monde doivent agir d’urgence. L’économie verte reconnaît
la valeur du capital naturel et l’intérêt d’y investir. La biodiversité, tissu
vivant de notre planète, englobe la vie sous tous ses aspects : gènes,
espèces et écosystèmes (...)Il est possible d’en estimer la valeur économique
et leur valeur actuelle constitue un aspect fondamental du « capital naturel ».
Des ressources telles que les forêts, les lacs, les zones humides et les
bassins fluviaux sont des composantes essentielles du capital naturel au niveau
des écosystèmes (...) qui constituent autant d’aspects cruciaux d’une économie
verte. (2)
Même son de cloche de la part de l’OIT. Dans un Rapport
récent intitulé « Vers le développement durable : travail décent et
intégration sociale dans une économie verte », nous lisons :
« Le modèle de développement actuel s’avère inefficace et non viable, pas
seulement pour l’environnement, mais aussi pour les économies et les sociétés.
Nous devons de toute urgence nous orienter vers le développement durable avec
un ensemble cohérent de politiques qui placent l’homme et la planète au centre.
La conversion à une économie plus respectueuse de l’environnement pourrait
générer de 15 à 60 millions d’emplois supplémentaires à l’échelle mondiale au
cours des vingt prochaines années » a déclaré Juan Somavia, le DG de
l’OIT. (3)
Nous y voilà ! Dans le même ton, la Banque mondiale
dans son dernier Rapport, qui se veut généreux, s’intéresse à l’économie verte
qu’elle pense rendre rentable en incluant la nature comme capital marchand. Le
rapport de la Banque mondiale du 10 mai exhorte les États à « Penser
Vert ». Nous lisons : « Alors que les instruments de mesure du
revenu national tels que le PIB ne mesurent que la croissance économique à
court terme, nous avons besoin d’indicateurs qui prennent en compte l’ensemble
des richesses (y compris le capital naturel) pour savoir si la croissance sera
durable sur le long terme. » (4)
Comment résister à cette fausse bonne
solution ?
On le voit, les dernières défenses immunitaires des pays en
développement ; leurs sols et leurs sous-sols deviendront des produits
marchands. On peut se demander, alors, si la synchronisation de la parution de
ces rapports et l’acharnement à imposer une nouvelle vision de l’économie verte
n’est pas suspect. Comment comprendre, en effet, que tout ce qui a de la valeur
est marchandisable.
C’est ce que dénonce Esther Vivas qui écrit : « Le
vert fait vendre. De la « révolution verte » en passant par la
« technologie verte » et jusqu’à la « croissance verte ».
Dernière trouvaille en date, l’« économie verte ». Une économie qui,
contrairement à ce que son nom indique, n’a rien de « vert », mis à
part la couleur des dollars qu’espèrent gagner ceux-là mêmes qui en font la
promotion (..) Deux décennies plus tard, où en sommes-nous ? Que sont
devenus des concepts tel que le « développement durable », qui est
accolé à ce sommet ? Où en est la ratification de la Convention sur le
Changement climatique qui avait jeté les bases du Protocole de Kyoto ? Ou
de la Convention sur la Diversité biologique qui fut élaborée à l’époque ?
Ce ne sont plus que des chiffons de papier, ni plus ni moins. Au cours de
toutes ces années, non seulement on n’est pas parvenus à freiner le changement
climatique, la perte de biodiversité, la déforestation, etc., mais ces
processus n’ont fait, au contraire, que s’aggraver et s’intensifier. Nous assistons
ainsi à une crise écologique sans précédent qui menace l’avenir de l’espèce
humaine et de la vie sur cette planète. Une crise qui joue un rôle central dans
la crise de civilisation que nous traversons. (...) Cette incapacité à offrir
une issue réelle, nous avons clairement pu la constater lors des échecs des
sommets sur le climat à Copenhague (2009), Cancún (2010), Durban (2011), ou
lors du sommet sur la biodiversité à Nagoya au Japon (2010). » (5)
« (....) Aujourd’hui, vingt ans plus tard, ils veulent nous
vendre leur « économie verte » comme une solution à la crise
économique et écologique. Il s’agit d’un processus d’appropriation néo-colonial
des ressources naturelles - du moins celles qui ne sont pas encore privatisées
- afin de les transformer en marchandises que l’on achète et que l’on vend. Ses
promoteurs sont, précisément, ceux qui nous ont conduits à la situation de
crise dans laquelle nous nous trouvons (...) Ces mêmes compagnies qui
monopolisent le marché de l’énergie (Exxon, BP, Chevron, Shell, Total), de
l’agro-industrie (Unilever, Cargill, DuPont, Monsanto, Procter&Gamble), des
pharmaceutiques (Roche, Merck), sont les principales qui impulsent l’économie
verte. Nous assistons à une nouvelle attaque contre les biens communs et les
perdants seront les 99% de notre planète. Et tout particulièrement les
communautés indigènes et paysannes du Sud, celles qui protègent et vivent de
ces écosystèmes. Elles seront expropriées et expulsées de leurs territoires au
profit des entreprises multinationales qui veulent tirer profit de ces
écosystèmes ». (5)
Pour le site alternatif Attac-France qui abonde dans le même
sens : « Le coup de théâtre a eu lieu et un projet de déclaration a
été approuvé par la plénière des négociateurs. Sans engagement prescriptif, encore
moins contraignant, sans date de mise en oeuvre, cette déclaration est
extrêmement faible et n’impose en rien un changement de paradigme pour
construire « le monde que nous voulons ». Les engagements ne sont
bien souvent que « volontaires », comme le partage d’expériences ou
suffisamment édulcorés pour être laissés à l’arbitrage de chaque État, comme la
fin des subventions aux énergies fossiles. Sur le climat, ce texte invite à se
projeter vers la prochaine conférence de Doha.(...) Le cas de l’eau est emblématique :
les Etats-Unis, le Canada, la Turquie, le Brésil et la Chine, ont tout fait
pour que ne soit pas mentionné le droit universel à l’accès à l’eau (....) La
prééminence donnée aux mécanismes de marché pour réguler l’environnement et
allouer les ressources vers le développement durable et l’économie verte est
confirmée et étendue. A l’inverse, toujours pas d’engagement sur des taxes
internationales sur les transactions financières.(...) Les modes de
consommation et de production insoutenables des pays riches et des populations
riches des pays émergents ne sont pas véritablement remis en cause. (...)Sur le
versant de la « gouvernance mondiale », il faudrait se satisfaire
d’un Pnue aux compétences élargies, même si les financements additionnels doivent
s’effectuer sur une base volontaire. Plus étonnant est l’acceptation de ce
texte par les pays les plus pauvres. (...) » (6)
En définitive, le site alternatif Attac prône une autre
voie : « Cette « économie verte », la volonté de soumettre
tous les cycles vitaux de la vie aux règles du marché et à la domination de la
technologie. Pour sortir de l’alternative suicidaire austérité ou croissance,
une transition écologique est urgente, notamment en matière énergétique.
Créatrice d’emplois et ouvrant les possibilités d’un avenir commun entre les
peuples du monde. » (7)
Nous sommes sur le point de passer à une nouvelle phase, une
nouvelle accumulation de capital, mainmise sur les ressources minérales et les
terres de la planète. Cela se passe par la pseudo-légitimation du capitalisme
vert mais aussi par une militarisation croissante des zones concernées. Les
propositions « alternatives » de Via Campesina, non seulement
conduisent à la souveraineté alimentaire, mais proposent une agriculture
consommatrice de carbone qui refroidit la planète... Le G20 n’a jamais fait
preuve de détermination à revoir en profondeur le modèle néolibéral et
insoutenable actuel. Ses maigres engagements sur les paradis fiscaux ou la
suppression des subventions aux énergies fossiles n’ont jamais été suivis
d’effet, le G20 préférant sauver les banques plutôt que les peuples.
Contre ce modèle néolibéral et prédateur, insoutenable tant
sur le plan écologique que social, de nombreuses organisations, il faut
résister, nous ne sommes pas dupes, l’économie verte est un luxe que seuls les
pays riches peuvent s’offrir, c’est une approche imposée par les pays
industrialisés pour piller les terres encore comestibles et pour freiner le
développement et maintenir les pays en développement dans la pauvreté. A bien
des égards, la kermesse de Rio +20 est un tragique carnaval où chaque pays
développé mais aussi émergent, joue un rôle taillé à sa pointure. Les variables
d’ajustement seront, comme d’habitude, les pays pauvres notamment africains
qui, les premiers, paieront les ardoises de plus en plus lourdes en termes
d’errements climatiques de plus en plus dévastateurs et de plus en plus
récurrents. Ainsi va le monde.
Chems Eddine Chitour
Article issu du Journal Le Grand Soir
1. Du G 20 au Rio 20 ! http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/du-g-20-au-rio-...
3. http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.
asp ?NewsID=28290&Cr=OIT&Cr1=
4. http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/TOPICS/EXTSDNET/0,,contentMDK:23191431 pagePK:64885161 piPK:64884432 theSitePK:5929282,00.html
5. Esther Vivas Articule publié dans « Público »
le 17/06/2012. Traduction : Ataulfo Riera. http://www.legrandsoir.info/quand-l-economie-et-le-capitalisme-se-peignent-en-vert.html